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Pour Eric Blaise tué en prison
16 juillet 2013

Archives de 2006/ Rapports CNDS/ entretien avec la famille

On trouvera ci-dessous l’Appel rédigé par la famille et les parents d’Éric BLAISE, suite à son décès survenu dans des conditions mystérieuses le dimanche 13 novembre au bâtiment D1 de Fleury-Mérogis, ainsi qu’un document diffusé lors de la conférence de presse du 26 avril 2006.

Dernière minute (mai 2008) : débat après les conclusions rendues par la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

 

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a rendu ses conclusions concernant la mort d’Éric Blaise au mitard de Fleury-Mérogis en 2005.

Après avoir reçu le rapport, Nathalie Blaise, la tante d’Éric, est venue à l’émission de radio l’Envolée pour le lire et le commenter. On trouvera ci-dessous la transcription de cet entretien.

L’émission a lieu le vendredi, à 19 h sur FPP 106.3 ; rediff. le lundi à 12 h 30.

Le numéro complet (n° 22, février 2008) de L’Envolée est librement téléchargeable sur le site du journal.

Éric Blaise, âgé de 28 ans, a été incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis dans la nuit du 11 au 12 novembre 2005 suite à une condamnation à quatre mois de prison, dont deux avec sursis et mise à l’épreuve pendant dix-huit mois, prononcée en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Bobigny. Il s’agissait d’un délinquant primaire.

Il a été vu au service médical d’accueil le matin du 12 novembre 2005 par le Docteur F.M....

-  Hafed : Si on ne donne pas les noms, c’est que dans le rapport, il n’y a que des initiales.

...qui a constaté « un tremblement modéré des extrémités », sans agitation. Le Docteur F.M. a précisé à la commission qu’il avait prescrit du Seresta (il ne sait plus quelle dose) et de la Ventoline, après examen, [Éric] lui ayant indiqué consommer des doses importantes d’alcool et être asthmatique. Le Docteur F.M. a précisé qu’il n’avait aucune information concernant le résultat des examens médicaux éventuellement pratiqués pendant la garde à vue.

Le Docteur F.M. n’a pas réexaminé lui-même [Éric] afin d’évaluer l’efficacité du traitement psychotrope prescrit. Il n’a pas non plus demandé à ce qu’[il] soit réexaminé par le médecin de garde dans les heures qui suivaient pour évaluer l’évolution des signes de manque, l’efficacité du traitement prescrit et l’opportunité d’un transfert et de soins en milieu hospitalier, voire en unité de soins intensifs.

Le surveillant stagiaire I.G. a précisé à l’inspection que le 12 novembre 2005 à 13 heures, le détenu, affecté à l’aile « arrivants », lui a demandé d’aller aux toilettes, mais trop tard : il avait déféqué sur lui. Ce surveillant l’a conduit à la douche et lui a procuré des vêtements propres, puis il l’a placé dans sa cellule, « dans laquelle il ne voulait pas rester ; il semblait ne pas comprendre dans quel lieu il se trouvait ».

Une fois enfermé, [Éric] « s’est mis à taper violemment à la porte tout en vociférant ». Le premier surveillant C.J. a confirmé à la gendarmerie qu’[Éric] « était agité, il tremblait comme s’il avait peur ». Il a également précisé que vers 15 heures, il a été à nouveau appelé et a constaté « qu’[Éric] tentait de détruire l’œilleton de sa cellule en tapant sur un stylo avec une balayette. Interrogé sur son comportement, [Éric] a répondu « qu’il y avait un nain dehors » ». Le premier surveillant a alors conduit [Éric] dans une salle d’attente et appelé le médecin de permanence, le Docteur N.M. 

Le Docteur N.M. a précisé tant à la gendarmerie qu’à la commission qu’il avait examiné [Éric] et constaté « de légers signes de manque alcoolique, sans gravité »... à savoir de « très légers tremblements des extrémités, mais pas de sueur ». Le Docteur N.M. a néanmoins pensé « que l’on pouvait se situer dans le contexte d’une fluctuation de delirium tremens ». Il a décidé de changer le traitement et a prescrit « du Valium, quatre par jour, en lui donnant au jour le jour dans une pochette pour éviter tout risque de surconsommation ».

-  N. : Quatre par jour, je sais pas, mais...

-  H. : C’est déjà de la surconsommation !

Il a également recommandé qu’[Éric] soit seul en cellule et fasse l’objet d’une surveillance particulière. Le Docteur N.M. n’a pas vérifié si le traitement prescrit était effectivement pris [...]. Il n’a pas non plus évalué les effets de ce traitement sur les signes de manque d’alcool afin d’apprécier l’opportunité d’un transfert et de soins en milieu hospitalier, voire en unité de soins intensifs, ce qui est le cadre de soins habituel pour un delirium tremens, manifestation la plus grave, potentiellement mortelle, du manque d’alcool chez une personne dépendante.

-  H. : Au début, on dit que c’est un manque d’alcool sans gravité, et puis ça va crescendo jusqu’au delirium tremens. Voilà une première contradiction, mais c’est à porter au crédit de la commission. On s’aperçoit qu’ils se contredisent sur quasiment tous les points.

Le premier surveillant C.J. a indiqué à la gendarmerie que lorsque le médecin est arrivé, [Éric] était torse nu et, devant le médecin, a demandé « d’aller chercher un T-shirt dans sa caravane et qu’il n’avait pas réussi à ouvrir une portière... ».

« Pour moi, » dit le premier surveillant, « il tenait des propos incohérents ». Alors que le Docteur N.M., lors de ses déclarations à la gendarmerie, a prétendu le contraire après cet examen, le premier surveillant C.J. a reconduit [Éric] dans sa cellule, son codétenu étant en promenade, avant de trouver une cellule libre. Pendant le trajet, [Éric] s’est mis à courir en disant : « je ne veux pas rentrer dans la boite », et refusa dans un premier temps de réintégrer sa cellule.

-  H. : Ils disent qu’il faut le mettre seul en cellule, et ensuite ils disent qu’il était dans une cellule où il y avait déjà quelqu’un qui était en promenade. Je crois que vous n’avez pas le nom du type qui était avec lui...

-  N. : Justement, je voulais faire un petit appel : si jamais le codétenu d’Éric est encore à Fleury, qu’il essaie de prendre contact avec nous ou avec l’Envolée, qu’il écrive ; s’il est sorti... On a vraiment besoin de son témoignage.

-  H. : Le type qui partageait sa cellule, même s’il était en promenade quand Éric est arrivé, c’est dans les archives de la pénitentiaire, qui sont informatisées : tous les changements de cellule sont inscrits dans les fichiers.

-  N. : Et qui a le droit de consulter ces fichiers ? L’avocate ?

-  H. : L’avocate, le juge d’instruction, et toute personne concernée qui en fait la demande.

Dix minutes environ après son retour en cellule, [Éric] a recommencé son tapage. Le premier surveillant C.J. a alors demandé une mise en prévention en quartier disciplinaire [QD], et à l’ouverture de la porte, il a constaté « que la télévision était cassée au sol et que tout avait été jeté par terre. A ce moment-là, » dit-il, « j’ai vu qu’[Éric] avait une blessure au milieu du front et qu’il saignait un peu ».

-  N. : C’était Hulk, ou quoi ? Pour desceller une télé...

-  H. : La télé est sur une potence, elle est vissée, cadenassée, et pour l’arracher, faut vraiment être costaud...

La commission tient à préciser que lors de son audition, le Docteur N.M. semble avoir oublié les circonstances de son intervention.

-  N. : Ah non, ça, excusez-moi, c’est pas marrant, mais il y a de quoi rigoler !

Il a en effet déclaré avoir été appelé « parce qu’[Éric] était très agité, et avait cassé du mobilier dans sa cellule, et y avait répandu des excréments un peu partout », ce qui est inexact. L’agitation d’[Éric] après la visite du médecin a provoqué sa mise en prévention, et les dégâts au mobilier ont été constatés à l’ouverture de la cellule.

[Il] a été conduit au quartier disciplinaire vers 17h 30, où il a été accueilli par le premier surveillant F.F., qui a constaté que « le détenu présentait des traces de sang au visage, dues aux coups de tête donnés dans les murs de sa cellule au QD ».

-  N. : Alors là, je comprends pas : il arrive au quartier disciplinaire en sang alors que c’est là-bas qu’il est censé s’être tapé la tête contre les murs.

A l’évidence, personne n’ignorait l’état d’agitation d’[Éric]. Le chef de service pénitentiaire P., dans son rapport d’enquête en vue de l’instance disciplinaire rédigée le 12 novembre 2005, a précisé : « le détenu présente un trouble du comportement. Il déclare n’avoir rien fait. Il tient des propos incohérents et tremble de tout son être. Il ne peut fournir d’explications à son attitude. »

-  H. : Il faut savoir que le chef du service pénitentiaire, c’est un maton, pas un médecin ; un maton qui nous dit que le détenu présente un « trouble du comportement ». Est-ce qu’il est formé à ça ?

-  Jean-Luc. : Tu sais bien que tout le monde s’autorise à psychologiser à tout va ; le maton a fait quelques lectures...

-  H. : En tout cas, c’est que ce diagnostic peut relever de sa compétence. C’est pas des matons que vous avez, les mecs : c’est des médecins, des psychologues, des psychiatres...

-  J.-L. : C’est une anticipation du personnel de l’avenir - un petit peu médicalisant, évidemment...

Malgré cet état, il est clairement établi que le médecin n’a pas été prévenu de ce nouvel incident et de l’état du détenu. Cependant, [Éric] a été vu par le Docteur N.M. qui a déposé en ces termes : « J’ai revu [Éric] vers 19 heures car j’avais une visite à faire au QD concernant deux détenus. J’ai demandé au surveillant si [Éric] avait recommencé à s’agiter. Il m’a répondu que cela n’avait pas été le cas. J’ai demandé à le voir. Il m’a répondu que le « bricard » porteur des clés n’était pas disponible ; j’ai tout de même observé [Éric] à travers l’œilleton : j’ai constaté qu’[Éric] était calme, mais parlait tout seul, en disant : « ma mère ne va pas être contente ». J’ai estimé qu’il n’y avait rien de particulier à faire. J’ai redit aux surveillants du QD que s’il s’agitait à nouveau, il faudrait m’appeler ».

Cette déclaration est surprenante et en contradiction formelle avec les dépositions des surveillants.

En effet, le surveillant S.O. a déclaré à la commission  : « A 20 h 40, le premier surveillant nous a avertis que nous montions au QD avec le médecin. C’est au quartier que nous avons appris que nous devions voir deux détenus. A cette occasion, le premier surveillant a parlé du détenu [Éric] qui venait d’arriver dans l’après-midi. Nous sommes allés [le] voir avec le médecin. Une fois la porte ouverte par le premier surveillant, j’ai constaté qu’[il] était face au mur. Il se cognait la tête contre le mur ; il ne s’est occupé de nous à aucun moment. Il répétait le mot : « noir ». Le médecin a essayé d’entamer un dialogue [...] ; [il] a constaté qu’[Éric] ne se rendait même pas compte de sa présence ».

-  H. :...alors ces braves gens on fermé la porte et l’ont laissé continuer à se taper la tête contre les murs, parce que c’est normal qu’un prisonnier se tape la tête contre les murs. Encore une contradiction, le médecin dit : « le bricard porteur des clés n’était pas disponible », et juste après : « une fois la porte ouverte par le premier surveillant, j’ai constaté que... »

Le premier surveillant T.M. a fait une déclaration identique à la gendarmerie et à la commission, ajoutant que le Docteur N.M. avait dit que la place d’[Éric] était bien au QD, car « il n’était pas bien dans sa tête ».

-  H. : Ça, c’est gravissime, parce que le QD, c’est le quartier disciplinaire ; c’est le mitard. Je vois pas en quoi un type qui est pas bien dans sa tête serait mieux dans un mitard. Le premier surveillant T.M. affirme qu’ayant demandé s’il y avait des consignes particulières, le docteur N.M. lui a répondu par la négative, et il a écrit sur le cahier de rondes du QD : « Calme, mais toujours incohérent ». Voilà. Un homme qui se tape - soi-disant - la tête contre les murs... et qui est calme.

La surveillante F.S. confirme les faits : après ouverture de la cellule, elle a vu [Éric] debout qui parlait au mur. Elle a précisé à la commission : « j’ai tapé à la porte, il ne répondait pas. Il parlait et bougeait dans sa cellule [...] je n’ai pas estimé devoir informer un supérieur parce qu’il était vivant et qu’apparemment, il ne souffrait pas ».

-  N. : Elle est médecin, pour s’être rendu compte qu’il ne souffrait pas ?

-  H. : Et à travers l’œilleton !

Cependant, Madame F.S. a continué à le surveiller et a écrit dans le cahier : « [Éric] à la G405... »

-  H. : Alors, G405, c’est l’aile gauche, quatrième étage, celui du mitard, cellule 05.

« ...Il devrait être dans une cellule capitonnée car il n’arrête pas de se jeter contre les murs... Il ne se rend compte de rien, la place la mieux appropriée, à mon humble avis, est au SMPR [service médico-psychiatrique régional], car il est vraiment malade dans sa tête ».

La situation était telle que les cris poussés par [Éric] qui continuait à se taper contre les murs ont alerté un collègue de Madame F.S. qui est monté au QD ; ils ont constaté tous les deux, par l’œilleton, qu’[Éric] s’accrochait à la grille et tremblait. Les deux surveillants se sont posé les questions de savoir : « ce qu’il était en train de faire, crise d’asthme ou crise d’épilepsie ? ».

-  N. : Alors il est au QD et ils l’entendent d’en bas ! Je ne pense pas que ce soit possible, mais...

-  H. : C’est pas possible : il y a quatre étages !

-  N. : Oui, ou alors, il hurlait vraiment fort !

-  H. : Éric est calme, à un autre moment, il se tape la tête contre les murs ; et c’est la même personne qui dit ça. Ces contradictions-là, elles doivent servir à l’avocat pour attaquer le système de l’administration pénitentiaire.

-  N. : On fera tout pour ça.

Madame F.S. a déclaré à la commission : « Nous avons décidé d’appeler le premier surveillant par téléphone. Nous lui avons indiqué que le détenu [Éric] n’allait pas bien du tout. Le premier surveillant m’a répondu que le médecin l’avait vu et qu’il n’avait pas de consignes. » Le premier surveillant n’a pas cru devoir se déplacer.

Madame F.S. a quitté le QD à 4 h 30, [Éric] continuait à parler de façon incohérente, il était accroupi devant la grille. Elle est descendue faire un nouveau rapport au premier surveillant qui ne s’est pas inquiété.

Elle a été remplacée par le surveillant S.O., qui avait déjà vu [Éric] en début de soirée avec sa collègue F.S. et le Docteur N.M. A la relève, il a croisé la surveillante F.S. qui lui a dit « que le détenu était bizarre ».

-  N. : Bizarre, bizarre...

-  H. : Bizarre, chez eux, ça veut dire mort ; il n’y a qu’à voir la suite.

Monsieur S.O. qui était informé de l’état d’[Éric] déclare avoir vu [sa] cellule à 5 h 15, et qu’il a constaté à l’œilleton « qu’[Éric] était accroupi légèrement à droite de la grille, la tête tournée vers les toilettes, probablement les bras repliés sur le torse. Il était dans la position de prière d’un musulman. Il était silencieux et semblait dormir. »

-  N. : Ça, c’est pire que tout, je crois...

-  H. : Ils voient un homme dans cette position-là à cinq heures du matin et ça ne les alerte pas... Ce qu’ils disent ensuite est encore plus écœurant :

La position d’[Éric] n’a pas inquiété Monsieur S.O. car depuis qu’il est surveillant, « il a souvent constaté que les détenus dormaient par terre. »

-  H. : Quand ils sont trois ou quatre en cellule et qu’il n’y a pas assez de lits pour tout le monde, il y en a un qui a un matelas au sol. C’est le seul cas où des prisonniers dorment par terre. A la rigueur, dans les cellules de détention dite « normale », un détenu peut dormir par terre parce qu’il a un problème de dos, qu’il veut dormir sur du dur sur une couverture. Au mitard, personne ne dort par terre. Enfin, de son plein gré.

Il n’a pas frappé à la porte pour vérifier s’il était vivant, il n’a pas noté le fait dans le cahier d’observations, alors que le détenu faisait l’objet d’une surveillance spéciale, ce que semblait ignorer Monsieur S.O. Il n’a pas informé le premier surveillant, il n’a pas pris connaissance des observations de sa collègue.

La même scène s’est répétée à 6 h 35 alors que Monsieur S.O. aurait dû effectuer une surveillance spéciale à 5 h 40.

[Éric] était toujours dans la même position. Monsieur S.O. n’a ni frappé, ni consigné le fait, ni alerté le premier surveillant. Il a quitté le QD à 6 h 40. La surveillante R.S., arrivée à 6 h 45, a procédé à l’appel du matin et a constaté qu’ « [Éric] était recroquevillé au sol, face contre terre, le long de la grille ». Monsieur S.O. a appelé plusieurs fois [Éric] qui n’a pas réagi. Un de ses collègues et lui ont constaté « qu’il était déjà assez rigide ».

Le décès a été constaté à 7 h 35 le 13 novembre 2005 par le Docteur N.M. lui-même. Le Docteur F.M. a déclaré à la commission : « je pense que le patient est décédé des suites du manque d’alcool et d’un delirium tremens. »

-  N. : Alors ça, ça vient de sortir ! Je savais pas qu’on pouvait mourir d’un manque d’alcool ! Et on sait toujours pas à quelle heure il est décédé.

-  Brésilienne [c’est le prénom de la mère d’Éric] : Moi, quand ils m’ont téléphoné, ils m’ont dit qu’ils avaient trouvé mon gamin dans le lit à sept heures du matin, qui était décédé.

-  H. : Dans le lit, et pas par terre. Il faut aussi parler des pompiers, quand même : on vous a d’abord dit que c’étaient les pompiers qui avaient constaté le décès...

-  N. : Quand on a rencontré le substitut du procureur quelques jours après le décès d’Éric, il nous a certifié que les pompiers s’étaient déplacés trois fois le samedi 12 novembre ; il y a quelques semaines, j’ai écrit au centre des pompiers de Fleury-Mérogis de ma propre initiative, sans passer par l’avocate, et j’ai leur réponse sous les yeux :

« Par courrier du onze septembre, vous nous avez sollicités pour savoir si les sapeurs-pompiers étaient intervenus pour votre fils Éric à la prison de Fleury-Mérogis le 12 novembre 2005 ; en effet, vous nous indiquez que votre fils serait décédé le 13 novembre à sept heures et que les sapeurs-pompiers seraient intervenus à plusieurs reprises la veille de son décès. Je suis au regret de vous informer qu’après de multiples recherches, aucune intervention des sapeurs-pompiers n’a été trouvée concernant votre fils Éric le samedi 12 novembre à la prison. »

-  N : Chacun en tirera les conclusions qui s’imposent.

-  H. : C’est-à-dire que les pompiers qui sont venus à Fleury-Mérogis, qui sont montés au quatrième au QD, au mitard... ben ces pompiers-là ne sont jamais, jamais venus. Le substitut, qui ne se base que sur ce que lui dit l’AP, n’en a même pas entendu parler.

-  P. : La commission est même pas au courant, il n’y a pas de traitement du dossier. Leur manière de procéder est assez dingue : ils convoquent exclusivement des gens qui apparaissent dans les rapports - l’AP doit fournir la liste des personnes affectées au service à ce moment-là - prennent leurs témoignages et les mettent bout à bout sans même les confronter aux versions précédentes de ces gens, ou à la version officielle de l’AP ! La commission considère que tout commence au moment où elle se met à collecter des témoignages. Tout ce qu’il y a eu avant n’existe pas, ça disparaît.

-  H. : Ça s’appelle un micro-trottoir.

-  Olivia : D’autant que toutes les personnes citées travaillent au même endroit pour les mêmes personnes, et on connaît l’opacité de l’AP. On ne prend pas en compte le fait que les versions n’arrêtent pas de changer ; ce qu’il y a là-dedans, on peut mettre sa main à couper que c’est pas ce qui s’est réellement passé. Le pire, c’est qu’ils sont même pas foutus de se couvrir correctement !

-  P. : Tant mieux !

-  H. : Nathalie, ça fait bientôt deux ans qu’Éric est décédé ; en deux ans, est-ce que vous avez eu accès à la totalité du dossier ?

-  N. : Non.

-  H. : Ni de la part du parquet, ni de la part de personne. Déjà, ça, c’est anormal, il y a quelque chose qui cloche. Il a fallu que tu fasses toi-même des démarches. Ça veut vraiment dire qu’ils ont fait quelque chose de très très grave vis-à-vis d’Éric.

AVIS

1- la commission est chargée de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité. Les médecins travaillant dans des établissements pénitentiaires n’exercent pas une activité de sécurité, mais une activité de soin, la commission n’est donc pas compétente pour donner un avis sur leur comportement.

La commission constate cependant :

-  que le Docteur F.M. n’a pas demandé à ce qu’[Éric] soit réexaminé par le médecin de garde dans les heures qui suivaient pour évaluer l’évolution des signes du manque, l’efficacité du traitement prescrit, et l’opportunité d’un transfert et de soins en milieu hospitalier, voire en unité de soins intensifs.

-  qu’[Éric] dont l’état ne pouvait être ignoré du Docteur N.M. qui l’a vu à deux reprises n’a pas fait l’objet d’une hospitalisation au motif que ce médecin a jugé que le score de sevrage n’était pas suffisant pour le faire, ayant au surplus estimé contre tous les témoignages que les propos d’[Éric] n’étaient pas incohérents et que personne ne lui avait dit qu’il s’était cogné la tête, alors qu’il aurait indiscutablement dû le constater lui-même le soir du 12 novembre, [Éric] ayant été conduit au QD le front ensanglanté. Le Docteur N.M. n’a pas assuré la surveillance médicale et les examens cliniques qui s’imposaient.

Cette position est d’autant plus incompréhensible que le Docteur F.M. et le Docteur N.M. ont l’un et l’autre affirmé à la commission qu’ils auraient fait hospitaliser un patient alcoolodépendant chez qui survient une agitation importante.

La commission estime que le présent avis doit être communiqué au Ministère de la Santé, à toutes fins, pour apprécier le comportement de ces deux médecins et décider de la suite à donner, mais également au Procureur de la République d’Evry, afin de porter à sa connaissance les faits qui pourraient constituer l’infraction pénale de non-assistance à personne en danger commise par les Docteurs F.M. et N.M. ainsi que par le personnel de surveillance.

2- La commission, en s’appuyant sur les différents témoignages recueillis tant par la gendarmerie que par elle, constate que l’état physique d’Éric n’a pas cessé de se dégrader depuis la première visite médicale effectuée par le Docteur F.M., qui a constaté un « tremblement modéré des extrémités ». [Éric], dès son enfermement, s’est fait remarquer en tenant des propos incohérents, en déféquant sur lui, en se tapant la tête contre les murs, en cassant le mobilier de sa cellule, en tremblant à plusieurs reprises.

Il est évident qu’[Éric] faisait l’objet d’une surveillance particulière comme l’a affirmé le premier surveillant T.M. Or ce dernier, informé par la surveillante F.S. et son collègue G. de l’état alarmant d’[Éric] (propos incohérents et coups de tête dans les murs), n’a pas cru devoir se déplacer et prendre l’initiative d’appeler le médecin de permanence, Fleury-Mérogis étant l’un des trois établissements en France disposant d’une garde médicale 24 heures/24. De plus il n’y avait aucune difficulté à faire hospitaliser un détenu en urgence comme l’ont affirmé les médecins à la commission.

-  H. : J’ai une petite question à poser, un peu ironique ; dans un tel état, comment a-t-il fait pour vous écrire la lettre si sensée, si intelligente, si cohérente qu’on vous a remise à la fin, sans rentrer dans des délires, sans dire : « j’écris avec mon copain le nain qu’est à côté de moi, j’écris en me tapant la tête contre les murs »... ?

-  N. : C’est ce qu’on se demande encore.

-  H. : Parce que c’était : « ça va, je bois pas, ça me fait du bien, envoyez-moi des affaires, un peu de sous... »

N. :...embrasse tout le monde... Il oubliait pas d’embrasser ses copains ; donc c’est vraiment une saloperie organisée ; et une saloperie imbécile, en plus.

-  N. :Ils le font passer pour un fou.

-  O. : C’est pratique ; ça explique les coups, enfin les hématomes sur le corps, le visage, le menton... La lettre, vous l’avez présentée à la commission ?

N. : Oui, je crois qu’ils l’ont vue...

-  O. : Ils ont vu qu’il avait envoyé une lettre parfaitement cohérente, mais ça leur pose pas de problème de faire comme s’il était ouf.

-  H. :La commission retranscrit ce qu’on lui dit.

-  O. : Ils pourraient peut-être relever quelque part l’incohérence...

-  H. : Là, ce n’est plus du ressort de la commission : c’est du ressort de l’instruction. Ils sont pas là pour porter un jugement, mais pour établir les dires des uns et des autres et les poser à plat.

-  N. : Je me demande encore quelle idée a eu le directeur de me donner la lettre. C’est pas dans son intérêt ; il aurait dû la cacher.

-  H. : Je pense qu’il est parti du principe que les gens sont dans un tel chagrin qu’ils vont pas faire attention. Il donne quelque chose pour qu’on le fasse pas chier : « tenez, madame, voilà une lettre ». La première chose que tu fais, c’est de penser à la lettre, et lui, tu le zappes. C’est un acte de guerre, de mépris vis-à-vis des familles.

-  O. : Ils n’avaient peut-être pas encore prévu la version qu’ils allaient donner...

-  H. :Et puis il y a très peu de familles qui montent au créneau comme vous le faites depuis deux ans.

-  P. : Comme tu dis, Hafed, pour moi, la lettre, c’est une espèce procédure automatique ; c’est pas de l’ordre de la stratégie, à ce moment-là. Dans cet automatisme, il y a le mépris des familles ; la certitude que si tu leur donnes ça, tu fermes l’affaire, en fait...

-  H. : « Vous avez le testament. »

-  P. : Exactement ! Vous êtes contents, vous nous remerciez presque de vous le donner, vous êtes ravis d’avoir une dernière parole... et après, vous la fermez.

-  H. : La stratégie de l’AP, elle commence au moment où ils lavent le linge et le repassent avant de vous le remettre ; chose qu’ils ne font jamais. Là, ça veut dire qu’il y a un problème. Ils sont au courant de tout ce qui concerne l’ADN et autres moyens d’enquête, et quand quelqu’un est décédé, tous ses effets vont dans des sacs en plastique qui partent au laboratoire ; même quand c’est un suicide.

La commission estime que le premier surveillant T.M. a commis une faute professionnelle en ne se rendant pas au QD dans la nuit du 12 au 13 novembre, alors qu’il avait constaté lui-même l’état d’[Éric] le soir du 12 novembre 2005 et qu’il était alerté de l’aggravation de [son] état par deux de ses collègues, dont la surveillante F.S.

La commission estime aussi que le surveillant S.O. a également commis une faute professionnelle en ne pratiquant pas la surveillance particulière qui s’imposait à lui compte tenu de la situation grave d’[Éric] que sa collègue avait signalée sur le cahier d’observations. De même, constatant à 5 h 15 qu’[Éric], qui était nu, comme en témoignent les photos prises à la découverte du décès...

-  H. : Voilà : on n’a encore dit nulle part qu’il était nu. On ne dit pas pourquoi, on ne dit pas où sont ses affaires, s’il les a enlevées lui-même, pliées et repassées, lavées dans le mitard... A partir de là, il est nu. Pourquoi c’est pas dit avant ? La matonne, quand elle ouvre l’œilleton, elle devrait dire : « Ben, c’était un type tout nu en train de se taper la tête contre les murs » ; c’est une image plus frappante que celle d’un musulman accroupi. La nudité, elle n’apparaît que là ; c’est-à-dire quand il est mort.

-  N. : Comment ça se fait qu’il était nu ?

-  H. : C’est qu’ils lui ont pris ses fringues ; pour vous les remettre lavées et repassées. Pourquoi ? « Peut-être », avec des gros guillemets, peut-être parce qu’il y avait dessus d’autres ADN que celui d’Éric...

...se trouvait dans une position hautement anormale, le surveillant S.O. aurait dû immédiatement informer le premier surveillant afin que puisse être vérifié si [Éric] n’était pas dans une situation critique que pouvait laisser supposer la position et la tenue qu’il avait.Cette même négligence s’est renouvelée une heure environ plus tard.

De même, en ne signalant pas cette anomalie sur le cahier d’observations, alors qu’il s’agissait d’un détenu sous surveillance spéciale, le surveillant S.O. n’a pas respecté les obligations de sa fonction.

Il appartient à l’administration pénitentiaire d’engager les poursuites disciplinaires qu’elle jugera utiles.

-  O. : On les connaît, les sanctions qui vont suivre...

-  H. : Au niveau de la procédure, vous en êtes où ?

-  N. : Je sais pas quoi vous dire, pas grand-chose. L’avocate nous a dit que d’ici la fin de l’année, ce serait clos. Normalement, selon elle, on devait pas être entendus parle juge, mais Brésilienne a insisté. Là, je vais lui envoyer le rapport la semaine prochaine, parce que je pense qu’elle l’a pas eu [l’avocate].

-  H. : Il faut être sûr du nom du juge d’instruction, parce qu’on peut aussi lui envoyer un dossier directement.

-  P. : En fait, dans ce rapport, il y a les éléments d’une version officielle, la mouture actuelle, en tout cas, bourrée de contradictions, mais qui choisit une thèse ; celle de la folie, du pétage de plombs dû au manque d’alcool. Tout l’argumentaire médecins-pénitentiaire va dans ce sens ; on se doute bien que cette version sur laquelle ils se mettent d’accord ne correspondra jamais, tout ou partie, à la réalité, qui est peut-être bien différente. Ils s’en tiennent strictement à la thèse de la non-assistance à personne en danger. A la lecture, ce qui me file la rage, c’est que ça renvoie à la gestion au quotidien du parc, du zoo, de la prison en général et du quartier disciplinaire en particulier ; tous ces matons et ces médecins qui se contredisent plus ou moins, tu les imagines se passer le mot tranquillement en blaguant dans le couloir : « t’as vu, y a l’agité, là-haut, qui est en train de péter les plombs », et puis hop, ils l’oublient pendant cinq heures... Même si ce n’était que ça, l’histoire, c’est...

-  H. :C’est dégueulasse.


Rendez-vous le samedi 24 juin 2006 à Aubervilliers
à partir de 16 h, rencontre avec les proches d’Éric, pique-nique... musique acoustique... : le long du canal Saint-Denis, quai Gambetta. En venant du métro Corentin-Cariou, prendre à gauche le long du canal, sans le traverser. C’est à 10 mn.

Amenez-vous, on causera à l’ombre. Vous pouvez aussi amener des choses que vous aimez manger/partager.


Rappel des faits et chronologie des événements reconstitués d’après les déclarations du substitut, des témoins et de la famille, ainsi que de la lettre rédigée par Éric avant sa mort :

Éric Blaise a été arrêté le mercredi 9 novembre à EPINAY en compagnie d’un de ses frères et de deux copains. Ils avaient un peu bu et s’amusaient à tirer sur des canettes de bière à l’aide d’un simple pistolet à billes. Après les nuits chaudes des banlieues, des habitants avaient, semble-t-il, appelé la police. Le frère d’Éric et un de ses copains furent libérés après 24h. de garde à vue. Éric et son copain passèrent en comparution immédiate après une garde à vue de 50h. : le copain fut condamné à 3 mois de prison avec sursis et 5 ans de mise à l’épreuve ; Éric fut condamné à 4 mois de prison dont 2 ferme et 18 mois de soins pour alcoologie. Après sa condamnation Éric aurait été transféré à Fleury-Mérogis. Il y serait arrivé le samedi 12 novembre à 0h40. Le samedi après midi, il n’aurait pas voulu regagner sa cellule et aurait été remis de force dedans. Là il aurait tout cassé. Un médecin et les pompiers seraient intervenus selon les déclarations du substitut.

Dans une lettre écrite samedi Éric déclare : « (...) Le juge m’a dit que j’étais là pour 4 mois, mais si je ne fous pas le bordel j’en ai pour 2 mois...je ne bois plus une goutte d’alcool et je ne m’en porte pas plus mal. En prison, aujourd’hui samedi, il me donne des médicaments pour que ça continue (...) ». Ses parents ne comprennent pas le ton plutôt calme et raisonné de cette lettre qui ne cadre pas avec la suite des événements. Éric est retrouvé mort le dimanche 13 novembre à 7h du matin au quartier disciplinaire où il avait été placé. Ses parents sont avertis vers 17 h par un appel téléphonique leur apprenant que leur fils va être autopsié. Malgré ses demandes, la famille ne sera admise à voir le corps que le mercredi 16 novembre à 11h au funérarium de Ste Geneviève-des-Bois. Les vêtements d’Éric seront remis à sa tante le jeudi 17 après avoir été lavés consciencieusement et pliés. Le substitut déclarera à la famille qu’Éric est mort d’un oedème cérébral après s’être cogné seul dans sa cellule. La famille n’a reçu aucun rapport ou renseignement par écrit concernant l’incarcération d’Éric : nom de la prison, numéro du bâtiment, étage, numéro d’écrou. Sur le plan médical aucun rapport sur les médicaments donnés à Éric, le nom du médecin, le rapport d’autopsie. Aucune réponse aux questions des parents...Pourquoi les pompiers sont-ils venus ? Éric a-t-il été surveillé... Était-il inconscient après les coups qu’il s’est soi-disant donné ?

Aujourd’hui ses parents, sa famille, ses proches, ses amis veulent connaître la vérité : de quoi et pourquoi Éric BLAISE est-il mort ?

Ils lancent un appel pour que tous ceux qui l’ont vu ou approché, médecin, pompiers, gardiens, détenus témoignent. Une plainte a été déposé pour connaître la vérité. Ses parents et ses proches en ont besoin pour pouvoir faire leur deuil.

Quelques mots sur Éric : Éric était un jeune d’Aubervilliers. Il travaillait dans la navigation fluviale, comme son papa. Il avait ses moments de faiblesse et picolait un peu avec ses potes pour faire la fête. Éric était aussi un héros à sa manière. Il avait aidé avec des voisins un couple de SDF à s’installer dans une caravane. Il passait les voir régulièrement. Un soir la dame était tombé dans le canal... elle ne savait pas nager et coulait à pic. Éric n’a pas hésité une seconde : il a plongé et a réussi à la ramener sur le bord. Connaissant la passion de son père pour les armes de collection il lui offrait de temps en temps des cadeaux... il aimait la vie, les animaux qu’il confiait à ses parents. Il est mort pour un pistolet à bille, vendu en vente libre.


Une conférence de presse a été organisée le 26 avril 2006 conjointement par la famille d’Éric Blaise, L’Envolée et l’Assemblée de Montreuil. À cette occasion, a été diffusé un dossier dont je reproduis les passages ci-dessous qui résument les questions auxquelles la famille d’Éric exige qu’on apporte des réponses précises.

 

Source : http://claudeguillon.internetdown.org/article.php3?id_article=138

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Pour Eric Blaise tué en prison
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